L'interview imaginaire de notre voisin communard, Eugène Varlin
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- Catégorie : Figures
- Publié le vendredi 11 octobre 2013 19:43
Le 4 septembre 1870, la France toujours en guerre, proclame la III République. Après l'armistice, Thiers, alors chef du gouvernement envoie des troupes pour désarmer Paris. Or les parisiens majoritairement républicains, ne font pas confiance à l'Assemblée nouvellement élue dominée par des royalistes. Ils refusent de céder leurs armes, c'est le début de la Commune. Thiers quitte Paris. La Commune va administrer la capitale jusqu’au 20 mai 1871. Son action législatrice est considérable, de nombreuses mesures d’avant-garde sont prises et appliquées : séparation des Églises et de l’État, réquisition des logements vacants, liberté de la presse...
Le Canard Forgeron : Bonjour Eugène, peux tu nous raconter d'où tu viens ? Quelles sont tes origines ?
Eugène Varlin : Je suis né le 5 octobre 1839 près de Claye Souilly dans une famille pauvre. Mon père était journalier agricole, ma mère femme au foyer. Mon grand père s'est beaucoup occupé de moi et ses récits de la Révolution de 1848 à laquelle il a participé ont bercé mon enfance. Grâce à mon oncle je suis devenu ouvrier relieur. J'ai toujours attaché beaucoup d'importance à l'instruction. C'est pour moi un élément essentiel de l' émancipation de la classe ouvrière . Après mon apprentissage j'ai d'ailleurs repris des études. On m'y a enseigné la géométrie, la mécanique, la comptabilité. Plus tard je me suis même mis au latin.
CF : On dit de toi que tu étais un ouvrier engagé, peux tu nous dire pourquoi ?
EV : J'ai très tôt été révolté par les injustices sociales et j'ai très vite compris la nécessité de nous organiser collectivement, afin d'améliorer nos conditions de travail, qui étaient misérables. A 18 ans j'adhère donc à la société des relieurs qui permet, grâce à l'entraide de financer les retraites, ou les soins aux ouvriers et ouvrières blessés ou malades. Dans le même temps j'essaye également de convaincre mes camarades que la grève est un moyen pour nous ouvriers et ouvrières, de lutter contre la bourgeoisie qui nous maintient volontairement dans la misère. J'ai été d'ailleurs emprisonné plusieurs fois pour cela. Le pouvoir en place me considérant comme un agitateur. Je me suis engagé également politiquement : j'ai adhéré à la Première Internationale. J'ai participé aussi à la création d'un restaurant coopératif qui servait des repas aux plus démunis, y compris pendant le siège de Paris.
CF : Quel a été ton rôle durant la Commune de Paris ?
EV : J'y ai immédiatement participé. J'ai d'ailleurs été élu au Conseil de la Commune. J’insiste sur ce point car être un élu de la Commune avait un sens très fort. Nous étions responsable directement devant le peuple. Nos mandats étaient révocables et impératifs. Je m'occupais de la commission des finances puis de celle des subsistances.
CF : Et après, peux-tu nous raconter la suite de ton parcours?
EV : La suite on la connaît. Le gouvernement de Thiers avait quitté Paris, s'était réfugié à Versailles et depuis là, ils ont organisés notre massacre. Pour nous faire taire les Versaillais ont même accepté l'aide des Prussiens contre lesquels nous avions résisté lors du siège de Paris. La répression la plus terrible, celle qui a sonné le glas de la Commune, a été celle de la Semaine Sanglante, fin mai 1871. Près de 20000 des nôtres y ont perdu la vie. Moi, j'ai été reconnu et dénoncé par un prêtre, alors que je me battais sur les barricades. Les Versaillais m'ont arrêté, torturé puis exécuté contre un mur. J'ai juste eu le temps de crier « Vive la Commune ! »
CF : Quels souvenirs garderas tu de cette période ?
EV : On s'est battu pour un idéal, on venait d’horizons différents, mais nous souhaitions tous une société plus juste et plus solidaire, où le pouvoir serait partagé et rendu au peuple et non pas confisqué par quelques privilégiés. Notre désir d'égalité était immense : les femmes ont joué un grand rôle dans la Commune, et beaucoup d'entre nous se sont battus pour qu'elles obtiennent les mêmes droits que les hommes. J'en garde le souvenir d'une intense fraternité. On s'est battu pour la liberté, pour plus de justice entre les hommes. Comme je le disais à l'époque « tant qu'un homme pourra mourir de faim à la porte d'un palais ou tout regorge, il n'y aura rien de stable dans les institutions humaines ».